Au coeur du débat sur la migration et l’identité, Yanick Lahens , par une procédé généalogique, comme pourrait dire M. Foucault, attire l’attention sur le rôle joué par la colonisation et les choix économiques imposés par les puissances impérialistes dans la problématique migratoire. pour une meilleure compréhension des idées de l’écrivaine, je publie sur mon blog cet arrticle publié le 18 janvier 2017 par le journal « la liberation« .
Par Yanick Lahens , Ecrivaine — 18 janvier 2017 à 18:36 Libetation.fr
Qui pratique le déni n’a que faire de l’histoire et préfère le confort illusoire des faits amputés de leurs causes. Pourtant, l’incontournable question migratoire se retrouvera au cœur du débat électoral et des politiques qui seront mises en œuvre des deux côtés de l’Atlantique.
Un chansonnier haïtien, à l’humour décapant, a mis ces mots dans la bouche d’un immigré illégal poursuivi par un agent de police dans Manhattan. «Christophe Colomb détenait-il un permis de séjour ?» Je n’ai pas pu m’empêcher de fredonner cet air en pensant à l’acharnement d’un Donald Trump à vouloir dresser des murs pour freiner l’arrivée d’hommes et de femmes venus d’ailleurs. Cet acharnement me laisse aussi perplexe dans son déni de l’histoire que les déclarations il y a quelques semaines de François Fillon sur la colonisation assimilable, selon lui, à un échange culturel bienveillant. Mais qui pratique le déni n’a que faire de l’histoire et préfère le confort illusoire des faits amputés de leurs causes. Pourtant, l’incontournable question migratoire se retrouvera au cœur du débat électoral et des politiques qui seront mises en œuvre des deux côtés de l’Atlantique.
En me référant à cette île d’Haïti (ancienne Saint-Domingue) où je vis, beaucoup ont oublié visiblement le génocide des Indiens par l’Espagne, la mise en esclavage par la France de populations déplacées d’Afrique et qui s’est soldée par des millions de morts tant dans la déshumanisation violente de la traversée que dans celle des plantations. Saint-Domingue produisait, au milieu du XVIIIe siècle, autant de sucre que le Brésil, Cuba et la Jamaïque réunis en vue de l’enrichissement de sa métropole. C’est au prix de cet échange culturel que la bourgeoisie française de toute la côte Atlantique de Bordeaux à Nantes en passant par La Rochelle a pu asseoir son pouvoir économique à la veille de la Révolution française. La brutalité des luttes pour notre indépendance acquise en 1804 se situe en deçà de cette violence inouïe. Pourtant, pour échapper au blocus asphyxiant décidé par les puissances coloniales de l’époque, solidaires de la France, nous avons dû payer à l’ancienne métropole, de 1820 à 1944, un dédommagement aux planteurs.
Notre longueur d’avance, c’est d’être une matrice des relations Nord-Sud. Tout ce que les pays dits du Sud ont connu, nous l’avons éprouvé depuis les quelques années qui ont suivi notre indépendance, au début du XIXe siècle : exploitation éhontée des ressources, destruction des équilibres économiques, sociaux traditionnels ou empêchement d’en trouver de nouveaux, déclenchement de guerres meurtrières, ce toujours avec des complicités et des responsabilités locales.
Comment a-t-on pu s’imaginer pouvoir poser sur un si long laps de temps de tels actes chez d’autres sans qu’il n’en découle aucune conséquence ? La plus visible de ces conséquences est aujourd’hui l’arrivée aux frontières sud des Etats-Unis ou sur les côtes européennes d’hommes et de femmes qui fuient des territoires devenus invivables précisément à cause de ces politiques-là. Le riche continent européen compte 350 millions d’habitants, mais ses dirigeants se livrent à une bataille de quotas par peur que leurs populations ne vivent la venue de dizaines de milliers d’hommes et de femmes comme une invasion.
Ce sont les mêmes politiques qui à l’interne ont laissé sur le bord de la route des pans entiers de populations françaises, blanches et non blanches. Mais au lieu de repenser le système qui nourrit ces inégalités, beaucoup préfèrent ranimer le discours nationaliste et identitaire en désignant un bouc émissaire en la personne de l’étranger qui partage le même espace de ghetto urbain que ces populations délaissées. Cet étranger, par amalgame et glissement fantasmatique, a fini par désigner celui qui n’est pas phénotypiquement blanc. «Comme solution à un système qui les avale, les victimes sont appelées ainsi à se manger entre elles» dans des dérives identitaires mortifères.
Mais loin de moi l’idée que cette peur ne serait que celle de «petites gens». Des intellectuels, que l’on croyait debout droit dans leur être, se trouvent soudain déstabilisés par deux épouvantes : «Que va devenir l’homme blanc qui entend gouverner le monde ?» «Quel avenir pour les Lumières ?». Cette idée de vouloir vivre une identité immuable, éternelle et sans mélange, au nom d’une supériorité est un leurre scientifique et historique. Comme l’est celle de croire que les civilisations ont évolué en vase clos, sans influences extérieures. L’illusion de la pureté est non seulement erronée, mais elle est dangereuse, car pureté et épuration se ressemblent beaucoup.
Faut-il rappeler que l’extraordinaire avancée des Lumières ne s’est pas faite sans part d’ombre. Elles n’ont pu, entre autres, ni humaniser le Noir ni considérer pendant très longtemps ces lieux où il vit comme des territoires à part entière. J’en veux pour preuve ces deux révolutions, filles des Lumières : la révolution américaine et la Révolution française. La première n’a pas su régler la question de l’esclavage, la seconde celle des colonies. Il a fallu la révolution de Saint-Domingue pour que la question de l’égalité soit posée dans son principe radical.
Aujourd’hui, des théoriciens d’ailleurs, c’est-à-dire hors des centres définis par les Lumières, réfléchissent à des propositions d’universalisme qui secouent les idées du Même et de l’Autre. Et, curieusement, ce sont les penseurs les moins médiatisés en France, qui ne se vivent pas sur le piédestal de l’homme blanc, qui sont sensibles à ces inévitables mutations.
Et la gauche dans tout cela ? Eh bien, elle avance en ordre dispersé. Elle a oublié de lutter pour l’amélioration des conditions matérielles de la vie de ceux que le système a exclus. Elle a oublié qu’il y a des Sud dans le Nord, des tiers mondes dans le Premier Monde.
Dans ce nouveau cycle historique qui s’ouvre, force est de constater que la mondialisation n’a pas apporté les fruits escomptés. On nous avait promis une route bucolique où tous fraterniseraient vers des lendemains heureux. Mais nous voilà poussés sur un sentier d’identités exacerbées, cahoteux, escarpé, dangereux et qui, si nous n’y prenons pas garde, ressemblera à s’y méprendre à un chemin d’Apocalypse.
La question de la migration devrait occuper une place centrale dans le débat électoral. Parce qu’elle oblige d’une part à revenir à des fondamentaux et, de l’autre, à être inventif et courageux pour changer de cap. Qui osera l’espérance du futur ?
Yanick Lahens Ecrivaine